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Pr N.Bernoussi: Constitution et égalité des droits entre les sexes

La question du rapport entre la  loi fondamentale  et le  principe de l’égalité des droits entre les  sexes, n’est ni nouvelle ni fortuite, elle  a tout simplement pris un relief particulier  et est devenue  d’une actualité brûlante notamment depuis l’émergence de ce qui a été appelé « le Printemps arabe ».

En effet, le bouleversement des régimes politiques des Etats arabes et les fortes revendications en faveur de l’instauration des droits de l’homme a inévitablement reposer la question de l’universalité versus spécificité et a permis de focaliser la donne sur la question de la femme, de ses droits, de la préservation de ses acquis et de ses espérances. La déclaration du porte parole du Conseil national de transition libyen au lendemain de la chute de l’ancien régime, relative au rétablissement de la polygamie est un élément déterminant de la perception de la place de la femme par le politique et de la question du genre dans les rapports de pouvoir. La posture du pouvoir constituant marocain à cet égard est aussi expressive d’une volonté de modernité tempérée par des prescriptions prudentes, voire neutralisantes concernant notamment le principe d’égalité entre les sexes en matière de droits civils[1]. L’avant projet de la constitution tunisienne laisse perplexe quant à lui sur cette notion de complémentarité qui devient au prisme de l’actualité, susceptible de plusieurs interprétations.[2] Il convient de souligner à cet égard, la mobilisation remarquable de la société civile tunisienne  face à l’inquiétude de voir s’envoler les acquis de 56.L’Assemblée nationale constituante tunisienne allait elle par ce nouveau dispositif largement controversé, toucher à ce qui est considéré par beaucoup comme irréversible ?

L’Algérie qui est apparue  curieusement  épargnée par la vague des turbulences n’en a  quand même pas moins révisé sa loi fondamentale en y favorisant des mesures de discrimination positive permettant ainsi au législateur d’imposer  un quota de 30% de femmes au Parlement.[3]

Les manifestations relayées par les médias et les réseaux sociaux ont montré que les femmes ne sont pas restées en dehors  du processus civil enclenché ; si elles ont été actives sur la toile, elles se sont également emparées de la rue et ont battu le pavé. Aussi, ce vent de libertés va représenter  pour elles, l’occasion inespérée de dénoncer les violences subies et de réclamer la fin des discriminations. Elles ont compris que  les revendications relatives aux droits et libertés concernaient tous les citoyens, et  que la reconnaissance et l’application des droits humains ne peuvent dés lors exclure une partie de la population, en raison de son sexe. 

A priori et jusque  là, le processus historique enclenché lors du printemps arabe semble presque « normal », régimes autoritaires arrivés à bout de souffle, maturation de la demande démocratique, révoltes ou révolutions, manifestations, processus constitutionnels enclenchés, concertation, débat, dialogue entre les pouvoirs encore en place ou en partance, prise du pouvoir par les nouvelles légitimités populaire ou professionnelle par le recours quasi général aux commissions d’experts.. Rappelons à cet égard que pour ce qui concerne le Maroc par exemple, c’est bien la première fois qu’il y a eu institution d’une commission préparatoire consultative[4], pluridisciplinaire, nationale, opérant au grand jour, et composée de dix neuf personnes de sensibilités politiques différentes, dont  cinq femmes ; c’est aussi la première fois qu’une frange significative de la société civile dont les représentants des ONG féminines toutes tendances confondues[5] est écoutée par la commission consultative.

 Mais c’était sans compter que le processus démocratique n’est ni linéaire ni sujet à un déterminisme constant, il  peut surprendre et même dérouter parfois ; ainsi, l’histoire ancienne ou plus récente a montré qu’ il peut y avoir une différence de « tempérament »entre le peuple révolutionnaire et le peuple constituant[6], les logiques mutent(en France par exemple, la commune de Paris a bien élu une assemblée monarchiste et Mai 68 une assemblée conservatrice) ;en effet, il a été constaté qu’il y avait  une immédiateté dans les  choix qui tranche avec les slogans révolutionnaires, les urnes ont ainsi eu le temps de « digérer » l’explosion et  décident à distance « qui » va les représenter. Ainsi, les futures assemblées seront  donc le reflet(inattendu ?) de rapports sociaux déterminés, le résultat d’une société civile que les pouvoirs publics anciens trop occupés à gérer le politique et à traquer le sécuritaire ont littéralement céder  aux forces conservatrices lesquelles  ont eu le temps de bien imprégner la société, d’où l’avènement  d’un Printemps arabe « piégé » démocratiquement   se retrouvant avec une élite(minoritaire ?) sensible aux thèses sécularistes et à l’approche des droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus  face à une majorité agrippée à ses identitaires.

Les femmes et l’ensemble des strates violentées, opprimées ou ignorées(les amazighs, les marocains de confession juive, les résidants marocains à l’étranger, les étrangers, la jeunesse, le monde  judiciaire, les ONG de droits de l’homme, de développement, les artistes etc)vont saisir l’occasion rêvée pour présenter leurs cahiers de doléances ;à ce moment, alors que les nouvelles lois fondamentales vont accéder aux diverses demandes de la société civile, deux demandes vont cristalliser l’intérêt, susciter des débats passionnés et paraître particulièrement sensibles du fait de leur  prégnance religieuse, à savoir la liberté de conscience ,en clair ,le statut de la religion, et la question de la condition de la  femme. Si la liberté de conscience a disparu de la constitution nouvelle de 2011, la question de la femme bien qu’ayant gagnée des batailles intéressantes, garde l’empreinte d’avancées maîtrisées.

De fait, les processus démocratiques ont leurs propres limites et l’histoire est truffée de parcours parfois étonnants, à tout le moins régressifs. L’Assemblée nationale constituante, élue démocratiquement ne risque t elle pas en Tunisie de revenir sur ce qu’un éminent juriste bien de chez vous a appelé la véritable constitution tunisienne, à savoir le Statut personnel ?[7]Le nouveau dispositif, sans compter qu’il est inutilement long et mal formulé,  y considère la femme  commeunélément de la famille, un vecteur de développement de la patrie et non comme une personne. Famille, patrie, responsabilité, une telle symbolique  rappelle quelques moments sombres de l’histoire européenne de l’entre deux guerres.

Même si la lutte contre la violence faite aux femmes est consacrée dans le projet constitutionnel, le dispositif apparait comme réducteur, culturaliste et populiste ; le mouvement des femmes revendique  un mécanisme juridique fort par sa limpidité et sa clarté, à savoir «  l’égalité juridique entre les sexes ».

Que faire ? Comment faire ? Il n’y a évidement pas de solution miracle ni de modèle en la matière. Chaque Etat a sa propre logique, sa propre histoire et ses propres trajectoires, exigences et contingences, chacun « gèrera » cette question à partir de ses données, de son propre contexte. Pour autant, la problématique de l’appropriation du principe de l’égalité de droits entre les sexes par les lois fondamentales pourrait être utilement appréhendée à partir de trois axes, à savoir d’une part, un  rappel  général des principales définitions, d’autre part, la consécration constitutionnelle du principe d’égalité des sexes et enfin les garanties visant la prise en compte d’un tel principe.

I L’EGALITE EN QUESTIONS

1« Le nettoyage de la situation verbale »

De quelle égalité s’agit-il? Est-ce l’équité? Est ce le principe de non discrimination ? Est ce le genre ? Est ce la lutte contre les disparités ?

 Pour le Robert, c’est la qualité de ce qui est égal, ce qui fait appel aux notions de ressemblance, de similitude, de ressemblance, d’analogie, de conformité, d’équivalence, de parité, d’identité..

C’est le fait pour les êtres humains d’être égaux devant la loi, de pouvoir jouir des mêmes droits ; pour Voltaire, « c’est la chose la plus naturelle et en même temps la plus chimérique », d’autres pensent que « si les hommes sont égaux, certains sont plus égaux que d’autres ».

Pour approfondir la question de l’égalité, il convient de prendre en considération trois précisions de taille :

-Tout d’abord, il convient de lui rapprocher le concept de liberté qui ne peut subsister sans elle[8] .

-ensuite, il faut également lui assimiler les notions de justice et de démocratie, toutes notions qui entretiennent entre elles des relations intimes »[9].

-enfin, il ne faut pas négliger le fait qu’il s’agit d’un véritable Janus constitutionnel,  prisé tant par les requérants que par les juges, prés de la moitié des recours étant fondés sur son objet.[10]

2 Les différentes définitions de l’égalité

Il y aurait deux conceptions de l’égalité, l’une universaliste appuyée sur l’indivisibilité du corps électoral (On affirme généralement qu’il n’est pas possible de  fragmenter la souveraineté nationale ,ni toucher au  principe de l’interchangeabilité du citoyen, ni établir des catégories, l’Homme étant  considéré dans son abstraction[11] ) qui ne saurait accepter aucune forme de discrimination positive sous peine de révision constitutionnelle(France, Italie, Portugal, Belgique, Maroc) et l’autre conception de l’égalité, ciblée, différencialiste, « communautariste », militant pour les moyens de discrimination positive pour rétablir l’égalité ou la mettre en place. Il est important de noter que cette deuxième lecture de l’égalité est la seule capable d’avoir une prise réelle sur l’inégalité, tous les Etats ayant instauré des mesures de discrimination positive,[12] ont vu leurs assemblées se féminiser automatiquement. Bien sûr, cela a un coût et nécessite par ailleurs, un mode de scrutin approprié, des pénalités financières substantielles, un réservoir d’élites significatif, une véritable adhésion des différents acteurs, et  la mise en place  de mesures impératives ou volontaires, qu’elles soient prévues à l’arrivée (sièges réservés) ou au départ (techniques moins attentatoires au principe d’égalité).

Selon des thèses bien argumentées portées par ailleurs par d’éminentes voix, la discrimination positive  porterait atteinte au principe d’égalité, lui-même se trouvant au cœur de la démocratie, et aurait comme inconvénient de catégoriser les individus alors que ” la démocratie ne reçoit les êtres humains qu’en tant que tels “[13].
 Dans ce sens, Elisabeth Badinter défend la thèse classique selon laquelle «  toute discrimination, même positive, susciterait l’apparition de clivages assimilables aux ordres supprimés par la Déclaration de 1789, et constituerait une ” source d’exclusion, contraire à l’intégration républicaine “[14]. Elle pourrait susciter en outre une interrogation sur la compétence des femmes élues selon un système électoral comportant des quotas.
Pour O.Duhamel, à l’instar de   la  position onusienne, la discrimination positive n’est qu’une mesure spéciale temporaire, elle reste dérogatoire au principe constitutionnel d’égalité, et pourrait être établie mais à titre transitoire, avant le retour, dans une troisième phase, au droit commun, universel et indifférencié[15].

Doit-on nécessairement céder au juridisme et s’affronter indéfiniment sur cette question qui tout en étant philosophique, divise les familles politiques et  reste largement instrumentalisée ? L’inscription de la discrimination positive dans les constitutions clôt définitivement le débat.

Il y aurait également deux  types d’approches de l’égalité entre les sexes au niveau constitutionnel :la première posture consiste à opter pour une égalité « générique » laquelle engloberait implicitement toutes les ramifications du principe d’égalité(devant la loi, devant le juge, devant l’impôt, devant la santé, devant l’emploi etc)Dans un tel cas, le risque de diluer le principe d’égalité et de ne pas prendre en compte  les formes de discriminations persistantes et de ne pas cibler les sphères discriminatoires  reste important; la seconde approche semble plus prudente dans la mesure où elle privilégie une égalité qui détaillerait dans la constitution tous les cas pour mieux les garantir(égalité devant l’emploi, égalité des droits civils, droit à la maternité, égalité dans le droit à l’éducation, en exigeant de l’Etat des mesures concrètes pour rendre effectives ces promesses)mais à ce niveau, il convient de prévenir un autre risque propre à toute énumération, à savoir  celui  de mettre  hors jeu  un droit  qui n’aurait pas été inscrit dans la loi fondamentale.

Il y aurait également trois angles d’attaque du principe d’égalité « dans la loi », « devant la loi » et « par la loi ».

Dans  la loi, on s’adresse ici au législateur auquel on demande d’inscrire l’égalité dans la loi.

Devant la loi, on s’adresse aux différents acteurs sensés appliquer la loi, le juge appliquera la loi même si elle est contraire au principe d’égalité.

Dans la constitution, on s’adresse au juge constitutionnel et on monte d’un cran dans la hiérarchie des normes.

Par la loi, c’est-à-dire par les mesures de  discrimination positive insérées dans la loi.

3 Il y a les discriminations interdites sauf en cas de justification : la race, le sexe, l’origine, la religion, la croyance etc.

Il y a les discriminations autorisées dans la loi pour un certain nombre de raisons : mineurs et majeurs, salariés et non salariés, fonctionnaires et fonctionnaires d’autorité, habitants de régions défavorisées, femmes, etc.

En fait, le principe d’égalité a évolué, passant  de la conception classique à la  conception moderne justiciable de la discrimination positive.

4Le principe d’égalité se démultiplie : entre les sexes, devant le suffrage, devant l’impôt, devant les calamités, devant l’emploi ;il subdivise également:

égalité devant la justice : égalité devant la procédure pénale, droit au procès équitable, égalité dans les droits de la défense, égalité devant les peines et le régime applicable

Egalité devant la fonction publique : égalité d’accès à la fonction publique, égalité de traitement dans le déroulement de la carrière, égalité au regard de la procédure disciplinaire.

5 Enfin, le principe d’égalité fait partie des droits inhérents à la personne humaine : ils sont pour la plupart établis par la Déclaration de 1789. Il s’agit de l’égalité (art. 1), de la liberté, de la propriété, de la sûreté et de la résistance à l’oppression (art. 2) ;

Mais il fait partie également des droits qui sont des aspects ou des conséquences des précédents : ainsi du principe d’égalité découlent, par exemple, le suffrage universel, droit de vote accordé à tous les citoyens majeurs. L’égalité des sexes, mais aussi l’égalité devant la loi, l’emploi.

II LA CONSECRATION DU PRINCIPE D’EGALITE DE DROITS ENTRE LES SEXES

Pour espérer acquérir des acquis en matière d’égalité des droits entre les sexes dans les constitutions, doit on mentionner que seront tout aussi importants autant l’atmosphère  générale novatrice tournée vers le positivisme  et vers l’adhésion aux droits de l’homme tels qu’universellement reconnus que les mentions expresses consacrées à l’égalité entre les sexes. Par ailleurs, faut il tout inscrire et dans les détails, ou rester vague pour à la fois générer le maximum de consensus et laisser la place pour le déploiement éventuel/inéluctable de la pratique ?

-Tout d’abord, doit on rappeler que  toute loi fondamentale nouvelle soucieuse de l’égalité des droits entre les sexes doit pouvoir  créer un nouveau contexte général, d’ouverture et d’adhésion aux droits de l’homme dans leur conception universelle, et toute nouvelle constitution doit pouvoir s’aligner ou du moins se rapprocher le plus du   principe  positiviste selon lequel il ne saurait y avoir comme référentiel « que la constitution, rien que la constitution mais toute la constitution ». Cette mention prend toute sa signification quand on sait le rôle encore  prégnant de la coutume, des usages ou de la religion dans de nombreux Etats[16].

-Il est important de poser le principe de constitutionnalité et être plus direct en consacrant la suprématie de la constitution.

-Il est de la plus grande importance de conférer une  valeur juridique au préambule pour ne pas avoir à attendre un positionnement dans un sens ou un autre de la part du juge constitutionnel.

-La terminologie doit également suivre la nouvelle donne sensible au genre. En effet,  il serait judicieux  de négliger l’expression « tous »ou les « marocains »ou  « les tunisiens » et préférer  la mention de «  citoyennes et citoyens » et cela à chaque fois que la question d’un droit se pose ; dans ce sens, la crainte des   redondances paraît dérisoire car l’heure n’est pas à l’élégance  sémantique mais plutôt à la survie démocratique devant  les risque de régression.

-La mention du principe de non discrimination  constituerait également un acquis de taille, du fait de son contenu démocratique, de sa nature dynamique, agissante pour veiller à enrayer les disparités et à rétablir l’égalité.

-La consécration du principe de supériorité des conventions internationales  est un autre acquis à promouvoir et à garantir sous à deux conditions : ratification et publication .Par ailleurs, doit on à cet égard être plus concret et inscrire que les conventions internationales dûment ratifiées et publiées sont supérieures aux lois (et non au droit) et s’imposent aux juges ou entrent dans l’ordonnancement juridique interne, pour clore tout  débat futur sur monisme et dualisme.

-L’adhésion  aux droits de l’homme  tels qu’ils sont universellement reconnus et au droit international des droits de l’homme dans  leur universalité et  leur indivisibilité est une mention fondamentale et un message clair pour les acteurs chargés de les mettre en œuvre.

-Le choix  pour la parité dans le domaine politique et dans les autres domaines également,[17]ainsi, l’approche genre  doit elle pouvoir devenir  au même titre que la compétence, le talent ou le mérite, un réflexe dans la composition des institutions.

-L’inscription dans la constitution de l’implication institutionnelle des femmes et de leur participation politique  par le biais de la discrimination positive au sein notamment du Parlement, des assemblées régionales, du Gouvernement, de la  justice et des  Autorités constitutionnelles indépendantes.

-L’adoption d’une approche sensible au genre à même d’impacter et de transformer les rapports sociaux est un acquis pertinent. Il est important de noter que chaque année, en même temps que le rapport économique et social, un rapport genre  accompagne le projet de  loi de finances au Maroc et qu’il s’agit à cet égard, d’une première dans la zone mena et même dans l’espace  méditerranéen.

La formule suisse paraît intéressante : « L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. »

-La prescription des normes et des principes nouveaux (principe de non discrimination, égalité absolue, supériorité des conventions internationales, terminologie nouvelle, citoyenneté, égalité en général et rentrer dans les détails pour les droits économiques et sociaux).

-La mise en place de mécanismes qui consolident la démocratie (supra constitutionnalité, exception d’inconstitutionnalité, instruments de démocratie participative tels que le droit de pétition ou celui de l’initiative législative) La supra constitutionnalité  version  nouvelle constitution marocaine inscrit dans les exclusions matérielles, la forme du régime, la religion musulmane, le choix démocratique et les acquis en matière de droits et de droits fondamentaux.

-Le choix pour  un minimum de sécularisation  ou à tout le moins  pour une lecture modérée de l’islam.

Enfin, plusieurs postures peuvent se présenter :

-La préférence pour les généralités et l’imprécision  dans la loi fondamentale  concernant l’égalité entre les sexes afin de ne pas heurter les bords politiques opposés et renvoyer la question aux législateurs organiques et aux juges, mais de cette manière, le débat est tout simplement reporté (en courant le risque des surprises de l’histoire et de voir surgir un parlement conservateur qui reprendrait ce qui a été concédé « vaguement » au moment de l’euphorie ou du consensualisme ,au moment de l’écriture constitutionnelle)mais en même temps, il est difficile de  tout figer car la pratique constitutionnelle est indispensable pour accompagner la vie politique et l’efficience des constitutions.

-L’option pour la précision car « le diable est dans les détails », et à cet égard,  convient il de livrer une bataille juridico-idéologique dans le but de  verrouiller dans la constitution des principes novateurs ; cela a un coût temporaire et suppose une majorité progressiste, mais c’est la seule solution, car une fois écrit dans la constitution, la disposition devient irréfragable. Les précisions sont importantes, et la longueur parait inévitable car, après les régimes autoritaires, les constitutions « programmes » et les constitutions« nous ne referons plus »s’imposent. Il y a une grande quête normative, une très forte  demande constitutionnelle, au Maroc par exemple, la CCRC a eu à répondre à au moins une cinquantaine de demandes de constitutionnalisation d’instances ou de principes ou droits, toutes les ONG et les corps professionnels écoutés voulaient « être » dans la constitution. Il convient aussi de mentionner l’importance des travaux préparatoires pour l’interprétation, car les conflits ne manqueront pas de survenir.

Une autre attitude consisterait à veiller à la consolidation des acquis et à leur préservation en  les considérant  comme irréversibles  et en négociant les avancées, car si les acquis sont remis en cause, il s’agirait alors d’une violation de la constitution non écrite, celle du statut personnel codifié aux premières heures du bourguibisme.

Qu’en est il du cas marocain et que peut-on lui emprunter ?

A côté des droits indifférenciés, on peut sérier  pas moins de  treize dispositions consacrées expressément aux droits des femmes.

1 Le principe de l’égalité des chances dés la sixième ligne du préambule.

2Le principe de non discrimination en raison du sexe.

3La supériorité des conventions internationales, revendication du mouvement des femmes avant d’être repris par les ONG des droits de l’homme. Il faut souligner qu’une telle mention  risque d’être « pondérée » par le recours à l’identité nationale immuable.

Ces trois mentions sont inscrites dans le préambule qui a désormais valeur juridique.

4Les pouvoirs publics œuvrent à concrétiser la liberté et l’égalité des citoyens et citoyennes.

5 L’institution d’une langue juridique qui s’adresse aux citoyens et citoyennes.

6L’égalité des droits civils,politiques,économiques,sociaux,culturels,environnementaux(article 19)Cette nouvelle disposition est  susceptible d’être « tempérée » par le recours aux « constantes de la nation » et aux lois du royaume.

7 L’institution de la parité.

8L’autorité pour la parité et  la lutte contre toutes formes de discrimination.

9Les mesures de discrimination positive en matière électorale.

10  La représentation proportionnelle des femmes dans le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

11 L’encouragement de la participation des femmes au niveau régional.

12 Le traitement et la prévention de la vulnérabilité de certaines femmes et mères.

13La supra constitutionnalité :

Le choix démocratique ainsi que les droits et libertés fondamentaux relèvent eux aussi du non négociable, on peut imaginer la portée de cet article par rapport au nouveau code de la famille et des avancées qu’il a pu initier en 2004, lesquelles voudraient pour le constituant marocain devenir du domaine de l’irréversible.

III LES GARANTIES DU PRINCIPE D’EGALITE DE DROITS ENTRE LES SEXES

Les garanties peuvent être  de trois ordres, politique, civil et juridictionnel.

1 la garantie politique

Elle revient au Roi, au Gouvernement et au Parlement.

Le Gouvernement est fortement impliqué, et à cet égard, il faut rappeler  que les questions liées aux droits de l’homme  relèvent  désormais du Conseil du Gouvernement et que les projets de loi et de décret  y sont délibérés également.

Le Roi est protecteur du choix démocratique et des droits et des libertés des citoyens et citoyennes et des collectivités ; il pourra exercer cette mission par le biais de l’arbitrage lorsqu’il s’agira d’une question liée à l’islam ou lorsque la Cour constitutionnelle ne sera pas compétente.

Il est arbitre, gardien de la constitution et garant du choix démocratique, et pour exercer de telles  missions, il  dispose de moyens d’action tels que la présidence du Conseil des ministres, le droit de nouvelle lecture, la saisine de la Cour constitutionnelle ou à l’extrême limite, le recours à  la dissolution.

La constitution a consacré des droits mais elle a prévu vingt lois organiques et une série de lois ordinaires pour l’implémentation et la mise en œuvre. Le législateur doit veiller à prendre des dispositions conformes à la constitution et protectrices des droits consacrés par le constituant au moment des promesses constitutionnelles. C’est une constitution en pointillé…le Parlement va jouer aujourd’hui le rôle d’une assemblée constituante de fait.

A ce niveau, le nouveau statut conféré par la constitution à l’opposition devrait lui donner les moyens de « veiller au grain ». L’opposition préside en effet quatre commissions sur les huit prévues par la législation en vigueur. 

En plus des commissions d’enquête[18], les parlementaires évaluent les politiques publiques et peuvent auditionner les responsables des administrations et des établissements publics. 

Il est important de noter que les lois organiques prises pour l’instant n’ont pas été très soucieuses sinon de la lettre du moins de l’esprit du constituant .En effet, si la constitution nouvelle a prévu la parité, la loi organique relative à la Chambre des représentants s’est contentée de  soixante  sièges réservés, soit 15% de la Chambre des représentants, sachant que depuis 2002,les sièges réservés constituaient un quorum de 10%,la loi organique[19] ne  devait  elle pas se montrer  plus généreuse et prévoir au moins que des lois postérieures élèveront le pourcentage jusqu’à atteindre la parité, que dire du Gouvernement qui nomma une seule femme !Message très dur pour un Gouvernement qui se situait dans une logique de rupture et dont le programme tournait essentiellement sur l’équité, message très dur mais en même temps, il convient de ne pas céder à une vue angélique ou naïve des paramètres d’analyse ,il s’agit certes d’ un signal fort mais ce n’est pas la seule entrée pour évaluer la gouvernance ou les performances d’un cabinet, ce dernier  pouvant  être composé de  quinze  femmes sur  trente, mais des femmes contrôlables ou conservatrices !Il n’est pas inutile de rappeler que la parité est un domaine sécularisé donc en principe ne devant pas poser de problème d’interprétation ou d’approche..

La vigilance doit être de mise pour l’élaboration des autres lois organiques, celle relative au Gouvernement devrait prendre en compte l’approche genre.

Peu ou pas de femme là où il n’y a pas de quotas, les exemples d’instances vides de femmes sont nombreux, à titre indicatif et non exhaustif, on peut citer pour le cas marocain, le Conseil supérieur de la magistrature, le  Gouvernement et le Conseil  constitutionnel.

La discrimination positive  reste alors incontournable, un peu comme un hommage que le vice machiste rendrait à la vertu égalitaire.

La mise en œuvre par le législateur organique et ordinaire(il s’agit là d’un processus obligatoire, la constitution ne pouvant pas tout prévoir, car elle  n’est ni un code civil ni  un code pénal)est un moment sensible car c’est à ce niveau que les forces politiques donnent corps juridiquement à tous leurs souhaits, c’est en effet une période de tension entre des projets de société parfois radicalement différents ;ainsi ,par exemple au Maroc, le législateur organique, surfant sur des dispositions parfois imprécises, a pu légiférer dans un sens restrictif des libertés, voir quotas des femmes à la Chambre des représentants dilué dans une liste avec les jeunes hommes, [20]ou destinée des droits civiques pour les marocains résidants à l’étranger[21]). En fait, en Tunisie, il va y avoir deux phases d’écriture, la phase constitutionnelle  très longue avec ses fleurets mouchetés et la phase organique qui remettra sur la table toute une série de thèmes, les légistes   tunisiens risquent d’être « éreintés ».

Les ratifications des Conventions internationales constituent  une garantie sérieuse pour les droits des femmes. A cet égard, force est de souligner que  certaines réserves ne sont pas levées et que persistent encore les fameuses déclarations interprétatives. Que dira le juge ordinaire s’il est saisi de l’inconventionnalité de la loi sur le successions comme étant contraire à la CEDAW ou au Pacte international des droits civils et politiques ?Quid de la loi sur les relations sexuelles hors mariage par rapport au Pacte international des droits civils et politiques ?Si des références prégnantes à l’Islam sont inscrites, le juge reste « protégé »,par contre, si en Tunisie, la nouvelle constitution se trouve lestée de telles références, le juge aura  alors à se prononcer sur  des questions aussi sensibles que celles relatives à l’orientation sexuelle.

Si le Maroc a levé les réserves à la Cedaw en Avril 2011,il a maintenu les réserves interprétatives, l’article 2 sur la dynastie et sur les dispositions contraires à la charia, et l’article 15, §4 sur la liberté de circulation. Par contre, il a  bien entamé le processus de ratification du  protocole additionnel à la Cedaw  lequel pourrait permettre à une citoyenne marocaine de saisir le comité.[22]

Enfin, si le Maroc a levé les réserves concernant l’article 16, l’héritage se trouverait dés lors concerné, donc une requérante pourrait  elle saisir le juge ordinaire sur la question de la conventionnalité du code des successions ? La balle n’est elle que dans le camp du juge ?

La garantie civile

C’est à ce niveau nous semble t il que la veille démocratique a le plus de chances d’être pertinente et vigilante.

Une  Autorité pour la parité et la lutte contre les discriminations à l’encontre des femmes semble être  une démarche  heureuse mais là encore doit on être suffisamment précis. Une telle autorité  doit elle avoir comme mission la promotion des droits des femmes et/ou leur protection ? Son  rôle peut il être quasi juridictionnel ? Si on la souhaite indépendante, comment désigner ses membres ? Cette autorité  devrait elle devenir une instance majoritaire ?Peut on la considérer comme une autorité indépendante ?Doit elle défendre les droits des femmes exclusivement ou doit elle prendre également en charge les autres discriminations ?Le droit comparé est éclairant à cet égard ; ainsi, trois types d’instances sont généralement répertoriées :soit ces instances  ne traitent que les droits des femmes, soit, elles prennent en charge  les droits des femmes et les droits des  autres catégories vulnérables, soit enfin, elles ne se préoccupent au départ que des droits des femmes puis par la suite, des autres catégories dés que la problématique de la femme se trouve bien avancée dans la protection. [23]

La garantie juridictionnelle

Qu’il soit ordinaire au niveau du contrôle de conventionnalité ou constitutionnel par le biais du contrôle de constitutionnalité, le juge est en principe en charge de la protection des droits et des libertés. Quels sont les instruments juridictionnels dont  dispose  ce dernier pour se faire droit et garantir l’égalité entre les sexes consacrée dans la constitution ?Saisine individuelle a posteriori, question de constitutionnalité ou exception d’inconstitutionnalité, « la divine surprise »[24] va mettre le juge constitutionnel et la société civile au cœur du processus normatif, ainsi par exemple, concernant la loi sur l’héritage et le principe d’égalité, que pourra dire le juge ?

On peut aussi ajouter à la liste des mécanismes protecteurs des droits des femmes et des droits humains en général, l’ensemble des conseils nouveaux institués que ce soit pour les droits humains ou pour la bonne gouvernance, le droit d’initiative législative, le droit de pétition, mais à cet endroit, la prudence est de mise car les instruments de démocratie directe ne sont pas dans la pratique, les meilleurs amis de la démocratie.

Enfin, toujours est il que dans ce mouvement d’ idées et de positionnement des forces politiques, dans ce nouveau  bouillonnement civil, on risque fort d’avoir affaire à  deux moments, deux phases, deux temporalités, le temps court, imminent, et le temps long, s’inscrivant dans la durée :

Le temps court, celui de l’euphorie, des négociations, de l’arrachée, celui de la normativité, celui des  constitutions, et celui des lois organiques. Le temps court en Tunisie sera celui pendant lequel la société civile se mobilisera pour que la nouvelle loi fondamentale  mette en œuvre  les objectifs de la révolution, ceux qui ont été consacrés au moment de la rupture : liberté, dignité, égalité et justice sociale.

Le temps des lois organiques : la mise en œuvre, le «  tanzil » ou « tanf3il » l’implémentation ne relève pas de l’acquis, le recours aux lois organiques peut être régressif. Quitte à tout prendre, autant préciser et détailler dans la constitution, on en veut pour preuve le gradualisme/ l’incrémentalisme  marocain où la parité apparait plus comme  un horizon qu’un engagement précis, et où la mention du «  droit à la vie » pourrait tenter les adversaires du droit à l’avortement.

Le temps long ,avec lequel il faut compter, celui de l’appropriation démocratique qui reste justiciable d’une éducation réussie, d’une culture sensibilisée au genre, d’un enseignement moderne et de qualité, de l’évolution de la société, d’un cursus historique sans exclusion, de la saisine ou non de la justice constitutionnelle, des recours fréquents ou non devant l’Autorité pour la parité..


[1] L’article 19  de la nouvelle constitution marocaine  promulguée le 29 juillet 2011 dispose que « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la constitution, ainsi que dans les conventions  et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la constitution, des constantes du royaume et de ses lois.

L’Etat ouvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes.

Il est crée à cet effet,une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination. »

[2] Article 28 :« L’Etat assure la protection des droits de la femme et de ses acquis, en tant qu’associée véritable de l’homme dans le développement de la patrie et sous le principe de complémentarité des rôles avec l’homme au sein de la famille. L’Etat garantit l’égalité des chances pour la femme dans toutes les responsabilités. L’Etat garantit la lutte contre les violences faites aux femmes, quelles qu’en soit la nature » (traduction de l’arabe).

[3]Loi organique du 12/01.12.

[4] La CCRC, Commission consultative pour la révision de la constitution présidée par le constitutionnaliste A.Mennouni.

[5] Avec les associations Women’s tribune, Women Forum et ESPOD,a été fondé le Collectif action parité (CAP).Par ailleurs et de manière plus significative , s’est mis en place  un réseau intitulé le « Printemps féministe pour la démocratie et l’égalité », qui rassemble des féministes et des « droits de l’hommistes » mais aussi des syndicats et des partis politiques (dont l’USFP), avec le même cheval de bataille : militer pour la prise en compte des droits humains des femmes dans l’actuelle réforme constitutionnelle.

[6] D.Rousseau :Le consulat Sarkozy .Odile Jacob.2012.Présentation de l’ouvrage de l’auteur  à l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat  en 2012.

[7] Déclaration prêtée au juriste Y.Ben.Achour.

[8] J.J.Rousseau :Du contrat social,II,XI

[9] C.Leben :le conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant la loi.RDP n°2.1982.P295

[10] N.Bernoussi : le principe d’égalité devant les juridictions constitutionnelles. In Droit constitutionnel et principe d’égalité .Recueil des cours. AIDC.Volume XIV.P 18

[11] Voir ce même argumentaire dans la Décision Quota par sexe CCF 18 novembre 1982 GDCC p 538

[12] Sièges réservés,quotas,parité

[13] Confer les débats au Sénat et dans la presse au tout début de l’année 1999 opposant partisans et adversaires de la parité.

[14] ibid

[15] Ibid

[16] En droit  comparé et surtout dans les Etats en voie de démocratisation,( Ethiopie,Ghana,Burkina faso) il est souvent fait référence à la prévalence  de  la constitution sur toute autre forme de régulation sociale, telles que les usages, la coutume ou la religion. En revanche, la loi fondamentale mauritanienne permet le recours à la coutume en cas de problème d’interprétation.

[17]Cf la récente  révision constitutionnelle française  du 23 juillet 2008 laquelle a inscrit notamment   la parité dans  les domaines politique et professionnel.

[18] Si les élus souhaitent  faire une commission d’enquête, ils devront pour ce faire, attendre  l’adoption de la loi organique relative aux commissions d’enquête.

[19] Loi organique n°27-11du 14 octobre 2011

[20] La jeunesse y est donc considérée par le législateur organique et par le juge constitutionnel comme exclusivement masculine. Loi organique n°27-11 du 14 octobre 2011

[21] Le droit de vote « effectif »des RME a été «  converti » par le législateur organique en un  vote par procuration. Ibid

[22] Adoption en conseil de ministres en novembre 2012

[23] Conseil National des Droits de l’Homme : R.Naciri et A.Lamrini, étude sur l’Autorité sur la parité et la lutte contre toutes formes de discriminations.

[24] Selon le mot de Dominique Rousseau :le consulat Sarkozy.Op cit.

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